Bienne vue par Robert Walser Deutsch

1. La chambre d'enfants

Rue de Nidau 36, ancien domicile

Extrait de Les enfants Tanner, lu par Antoine Joly.

J’ai donc appris tôt à m’enthousiasmer de beaux souvenirs. Je revois la haute maison où les parents avaient une charmante boutique d’articles de mode, où beaucoup de gens entraient pour acheter, où nous, les enfants, avions pour nous une chambre claire que le soleil avait l’air de préférer à toutes les autres. Tout contre notre maison à étages il y en avait une autre toute petite et bâtie de guingois, qui semblait accroupie et écrasée, une maison très vieille avec un toit à pignon très pointu. Elle était habitée par une veuve qui vendait des chapeaux, qui avait un fils et une parente et je crois aussi un chien, si je me souviens bien. Quand on entrait dans sa boutique, elle avait une façon de saluer si aimable qu’on avait du plaisir rien qu’à être là, en face d’elle. Elle vous faisait alors essayer plusieurs de ses chapeaux et vous conduisait devant la glace toujours en souriant.

[…] Tout à côté, c’est-à-dire à côté de la boutique de chapeaux, il y avait une pâtisserie-confiserie toute blanche qui scintillait et vous attirait comme de la neige. La femme du pâtissier nous paraissait un ange plutôt qu’une femme. Elle avait le visage le plus fin, le plus ovale qu’on puisse imaginer; un visage dont les formes semblaient avoir été produites par la bonté et la pureté. […] Cette femme avait en tout l’air d’être absolument faite pour cela; vendre des douceurs, des choses fines, qu’il ne fallait toucher que du bout des ongles si on ne voulait pas leur ôter leur goût délicieux. C’était aussi une amie de ma mère. Ma mère avait beaucoup d’amies.