Bienne vue par Robert Walser Deutsch

2. Les mains moites

Rue Du Général-Dufour 22, école

Extrait de Les enfants Tanner, lu par Antoine Joly.

De l’école je n’ai plus grand souvenir, mais je sais qu’elle devint pour moi une sorte de compensation pour la position inférieure que j’occupais à la maison: je pouvais m’y distinguer. C’était une vraie satisfaction de rapporter de bonnes notes à la maison. J’avais peur de l’école et par conséquent je m’y montrais docile; d’une façon générale, j’ai toujours été réservé et timide à l’école. Les faiblesses du maître ne me restaient pourtant pas longtemps cachées, mais elles me semblaient plutôt effrayantes que ridicules. […] Une fois, au cours de religion, j’émerveillai mon professeur parce que j’avais su trouver pour désigner un certain sentiment le mot qui convenait exactement; cela aussi est un souvenir inoubliable. Dans certaines disciplines j’étais du reste très bon élève, mais cela me faisait toujours honte de passer pour modèle et souvent je faisais carrément exprès d’avoir de mauvaises notes. Mon instinct me disait que tous ceux que je dépasserais pourraient me détester et je tenais à être bien vu. Je craignais comme un malheur d’être haï de mes camarades. Dans notre classe, la mode était de mépriser le zèle et c’est pourquoi il n’était pas rare que des élèves doués et intelligents, par mesure de prudence, prissent l’air d’ignorants. Cette conduite, quand on l’avait remarquée, faisait grand effet parmi nous et elle avait, il faut bien le dire, quelque chose d’héroïque, même si c’était de l’héroïsme mal compris. Faire l’objet d’une distinction de la part d’un professeur exposait donc au danger d’être méprisé. Quel monde étrange: l’école!