Bienne vue par Robert Walser Deutsch

6. Frémissement

Quai du Bas, parc Elfenau

Extrait de La violette, lu par Antoine Joly.

C’était une sombre et chaude soirée de mars. Je me promenais dans ce charmant quartier de villas, riche en jardins. Toutes sortes de regards humains m’avaient déjà effleuré. C’était comme si tous ces yeux me regardaient plus profondément et gravement que d’ordinaire et moi aussi, je regardais les passants plus gravement et plus longuement dans les yeux. […] Tout sentait très bon, mais je ne savais pas vraiment quoi. Une interrogation muette et agréable flottait dans l’air doux, sombre et suave. Ainsi donc, je marchais et tandis que je marchais, une vague et délicate sensation de bonheur se faufila dans mon cœur. Alors que je m’imaginais traversant un parc magnifique, accueillant et très ancien, une belle jeune femme se dirigea vers moi, vêtue de violet. Son allure était gracieuse, noble son maintien. En s’approchant, elle me regarda de ses yeux bruns de biche d’une manière étrangement timide. Je la regardai aussi et lorsqu’elle fut passée, je me retournai, car je ne pouvais résister au désir et à l’attrait émerveillé de la voir une fois encore, ne serait-ce que de dos. Tel un personnage imaginaire, cette délicieuse apparition s’estompa peu à peu au loin. Une douleur brisa mon âme. «Pourquoi doit-elle s’en aller?», me dis-je. Je la suivis du regard jusqu’à ce qu’elle se fonde dans l’obscurité de la nuit et disparaisse dans un doux parfum, un parfum très doux. Je rêvai alors que j’avais rencontré une grande violette en forme de femme avec des yeux bruns et que la violette avait maintenant disparu.