Bienne vue par Robert Walser Deutsch

9. Les adieux

Gare, Place Robert-Walser

Extrait de Dernière prose, lu par Antoine Joly.

Cette petite prose est sans doute la dernière que j’écrirai. Toutes sortes de réflexions me font penser qu’il est grand temps que le berger que je suis cesse de rédiger et d’envoyer des textes en prose et se retire d’une activité apparemment trop difficile. C’est dans l’allégresse que je vais me mettre en quête d’un autre travail pour que je puisse manger mon pain dans la sérénité. Qu’ai-je fait pendant dix ans? Pour pouvoir répondre à cette question, je dois premièrement soupirer, deuxièmement sangloter et troisièmement, commencer un nouveau chapitre ou un autre paragraphe. Dix ans durant, j’ai écrit sans discontinuer de petites proses qui ne s’avérèrent que rarement utiles. Ce qu’il m’a fallu subir! Cent fois, je me suis écrié: «Je n’écrirai ni n’enverrai plus jamais rien!» Et pourtant, parfois le jour même, ou le jour suivant, j’envoyais de la nouvelle marchandise, si bien qu’aujourd’hui, je comprends à peine cette manière d’agir. Ce que j’ai envoyé en courriers, personne ne le referait. La chose est unique et pour sa drôlerie, mérite d’être placardée sur une colonne d’affichage pour que chacun puisse admirer ma naïveté. […] «Ce qui déplait à l’un, l’autre le goûtera peut-être», pensai- je, et envoyai le texte à Cuba. Qui se montra tout à fait désintéressée. Je crois que la meilleure chose à faire dorénavant est de m’asseoir dans un coin et de me taire.